Même s’il ne roule plus sur les millions et qu’il n’est plus une méga-star internationale du ring, Jacques Rougeau, 53 ans, n’a jamais été aussi heureux. Neveu de Jean « Johnny » Rougeau et fils de Jacques Rougeau père, deux légendes de la lutte au Québec, sa carrière professionnelle l’a mené jusqu’aux sommets de la WWF (World Wrestling Federation) qu’il a quittée en 1997 avant d’être bouffé par elle. Aujourd’hui, 15 ans plus tard, il forme une nouvelle génération de lutteurs et présente à travers la province des galas à mille lieux d’où la lutte professionnelle est allée, lutte qu’il n’a d’ailleurs jamais plus regardée à la télé. « Quand tout ça s’est terminé, ç’a été un deuil. Je n’ai pas lâché la lutte parce que je ne l’aimais plus, j’étais en désaccord avec l’orientation de la WWF. Moi qui venais de l’école d’Édouard Carpentier et des frères Rougeau où l’on faisait de la haute voltige et des acrobaties, il fallait désormais sauter par-dessus le troisième câble et s’écraser sur des tables. On mettait notre santé et notre corps en péril tous les soirs. J’ai préféré me retirer. » D’ailleurs, Owen Hart, un de ses célèbres rivaux, s’est tué deux ans plus tard, le 23 mai 1999; il a chuté du haut d’un aréna en entrant dans le ring suspendu par une corde. Il n’avait que 34 ans.
Astéroïdes aux stéroïdes
Depuis le début de l’ère WrestleMania en 1985, un nombre effarant de lutteurs sont décédés de surdose, de crise cardiaque ou par suicide. Quand on demande à Jacques Rougeau si le pire adversaire du lutteur n’est pas lui-même, il ne mâche pas ses mots. « À mon époque, le pire adversaire des lutteurs était sûrement Vince McMahon. Il donnait aux gens ce qu’ils voulaient, des super-héros à la Hulk Hogan boursoufflés aux stéroïdes. Tous les nouveaux personnages qui arrivaient dans la WWF pesaient 250, 280, 300 lb et même plus. Même s’il se disait contre la prise de stéroïdes, c’était ces lutteurs-là qu’il engageait. Ils travaillaient plus, devenaient plus populaires et étaient mieux payés. Pour rester en haut, il fallait qu’ils en prennent. Dans mon temps, et je l’ai vu de mes yeux, lors de tests de dépistage, les gars avaient sur eux des petits pots d’urine de quelqu’un d’autre. » Selon lui, à l’époque, 90 % des lutteurs se dopaient, mais Jacques jure ne l’avoir jamais fait.
« Knockouté » par la WWF
Comment fait-on pour remonter dans le ring après avoir été piétiné par un géant? « Je savais que j’avais quitté la seule organisation de lutte qui marchait dans le monde. Comme il n’y avait plus aucun débouché pour présenter la lutte locale ici à la télé, il m’a fallu tout recommencer à zéro. J’ai investi 200 000 $ de mon argent pour démarrer ma fédération et mon école de lutte. J’ai fait ce que les Américains ne font pas, je présente des galas de lutte familiaux, sans violence et sans sexe. Il n’y a aucun coup de pied ou coup de poing. Il n’y a pas de femmes dans le ring. On ne vend pas de bière. Des enfants de 3 ans peuvent y assister. On présente des nains, des clowns, Spiderman, des géants, etc. On est retourné à la base, comme c’était dans le temps. »
Une 4e génération de lutteurs
Il y a 70 ans cette année, en 1943, la dynastie des Rougeau voyait le jour. Après Édouard « Eddie » Auger, son grand-oncle, son oncle Jean « Johnny » Rougeau, son père Jacques, ses frères Raymond et Armand, voilà que les trois fils de Jacques reprendront le flambeau. Si Jean-Jacques, 23 ans, a décidé de quitter la lutte momentanément et qu’Émile, 14 ans, est encore bien jeune, Cédric, lui, à 20 ans, commence à se faire toute une réputation. « Mon fils est un phénomène de la nature. Il mesure 6 pi 6 po et pèse 296 lb. Pour vous donner une idée, en 1985, Hulk Hogan faisait 6 pi 5 po et pesait 280 lb. »
En terminant, il arrive un âge où le collant de lutteur n’est plus aussi sexy. Jacques Rougeau croit-il avoir atteint cet âge-là? (Il éclate de rire.) « C’est vrai que j’ai quelques livres en trop ici et là. Depuis quelques années, je porte des vêtements un peu moins serrés, mais je suis encore très fier de mon physique. »