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Petites coupures à Shioguni
Florent Chavouet s’est récemment vu remettre le prix Fauve polar 2015 du Festival International de Bande Dessinée d'Angoulême pour Petites coupures à Shioguni. Et après avoir lu cette oeuvre singulière, j’admets être totalement d’accord avec les membres du jury! Elle se distingue à plus d’un niveau de ce qu’on a l’habitude de lire en bande dessinée.
Sortir de sa zone de confort
Petites coupures à Shioguni est loin d’être une bande dessinée ordinaire. Vous aimez les albums avec un nombre identique de cases sur chaque planche? Allez voir ailleurs! Chavouet adopte ici une style libre surfant entre bande dessinée traditionnelle et expérimentale, croquis et notes. Ce n’est pas juste une bande dessinée… c’est une véritable expérience sensorielle!
Il faut dire quand même qu’à la base, l’histoire est assez simple. Kenji est le propriétaire d’un restaurant. Mais les choses vont très mal. Il n’a jamais de clients et a dû emprunter de l’argent à des hommes peu recommandables. Sauf que ça fait plusieurs mois qu'il ne les a pas remboursés. Ils en ont marre d’attendre et ils vont lui faire douloureusement comprendre…
Et il y a cette jeune femme, la seule cliente du restaurant, qui semble avoir été témoin de ce que cette bande de mafieux a fait subir à Kenji. Malheureusement, elle a pris la fuite…
Par contre, en progressant dans notre lecture, on va se rendre compte que ce n’est pas tout à fait cela qui est arrivé. Comme un détective, on va essayer de résoudre l’enquête en nageant dans un océan de demi-vérité et de mensonges.
D’ailleurs, on s’imagine être l’enquêteur chargé de l’enquête. À plus d’un instant, on a plus l’impression de tenir un carnet de notes qu’une bande dessinée. Et c’est en partie cela qui fait le charme de cet album : le lecteur se sent projeté littéralement dans l’histoire.
Tantôt doux, tantôt énergique, le dessin contribue à créer ce sentiment d’immersion si fort. En fait, quand on regarde les illustrations de Petites coupures à Shioguni, c’est comme qui rien au tour de nous n’existait.
Avant de terminer, j’aimerais quand même préciser que malgré sa grande originalité, cet album demeure très accessible. C’est un excellent polar contenant aussi beaucoup d’humour. En fait, disons qu’il tombe plus dans l’humoristique que le « gore ».
Verdict
Petites coupures à Shioguni est un polar magnifiquement écrit et illustré qui vous captivera du début jusqu’à la toute fin. Vous ne verrez plus le temps passé et aurez l’impression de faire partie littéralement de l’histoire.
Petites coupures à Shioguni
Florent Chavouet
Philippe Picquier
Cote : 5 étoiles sur 5
Little Tulip
Envie de pénétrer l’enfer des goulags? C’est ce que nous propose François Boucq et Jérôme Charyn dans Little Tulip, un album puissant qui ne laissera personne indifférent.
Bienvenue en enfer
L’action se passe à New York, en 1970. À l’époque, la grosse pomme était moins « recommandable » qu’aujourd’hui. En tout cas, moi, je ne me serais pas promené seul le soir. C’est là que travaille Pavel, un homme qui gagne sa vie comme tatoueur. Mais il a aussi un autre emploi : il est portraitiste pour la police. C’est même le meilleur dans son domaine! Présentement, il tente d’aider les forces de l’ordre à attraper un homme qui se déguise en père Noël pour attaquer les femmes la nuit.
Cependant, Pavel n’a pas toujours habité New York. Il a grandi en Russie. Et disons qu’il n’a pas eu une enfance joyeuse. Dès son plus jeune âge, il a été envoyé dans le goulag avec ses parents. Son père, un artiste, aurait « insulté » le régime soviétique…
Rapidement, le jeune Pavel va devoir apprendre à se débrouiller seul étant donné que les enfants dans cette priso» sont séparés de leurs parents. Heureusement, il a un don que les autres n’ont pas : c’est un habile dessinateur. Bien sûr, des dessins, ça ne protège pas contre des coups de poing… Mais il va finir par pouvoir utiliser ses talents pour un domaine connexe et fort apprécié des détenus : le tatouage.
En un rien de temps, il va grimper les échelons pour devenir le tatoueur officiel de l’un des chefs de gangs du goulag.
Entre flashbacks et enquête policière
Little Tulip est un album d’une grande intensité. Je ne passerai pas par quatre chemins : même s’il est bien vu dans la société des détenus, Pavel vit un véritable enfer. Il va devoir faire des choses ignobles pour survivre.
Les quelques scènes se déroulant dans les années 70 nous offrent heureusement un bref répit, quoique certaines images de meurtres soient particulièrement troublantes. D’ailleurs, cette alternance entre les deux époques est très bien maitrisée, même si le procédé est loin d’être révolutionnaire. Ça prend toutefois ici une touche très personnelle, car on a l’impression que Pavel se livre littéralement à nous et nous raconte des choses qu’il n’a jamais dite à personne avant. On se sent comme privilégié, ce qui provoque un peu quelquefois un sentiment de malaise.
François Boucq nous offre, de son côté, des dessins très élancés qui transforment les protagonistes presque en hommes de Cro-Magnon. Personne ou presque n’est « beau » dans cet album. C’est comme si le dessinateur avait voulu nous montrer le côté animal de chacun de ses personnages, comme s'ils avaient perdu toute humanité ou presque.
Verdict
À la fois violent, bestial et très personnel, Little Tulip s’impose comme un album marquant des dernières années.
Little Tulip
François Boucq et Jérôme Charyn
Le Lombard
Cote : 5 étoiles sur 5.